
Статья, название которой я перевела как «Европеец в Москве», была написана для одного из франкоязычных интернет-журналов. Ее авторы, К.А и М.Д.Н., с любезного разрешения которых Birdfish делает эту публикацию, приехали в Москву год назад для того, чтобы заниматься наукой. Естественным образом они оказались вовлечены в повседневную жизнь города. Друзья авторов статьи просили их писать о своих впечатлениях, для того, чтобы публиковать эти заметки в газетах и блогах. Ожидая, в частности, получить комментарии по поводу происходящих в России событий. И все же их репортажи получаются более художественными, нежели злободневными. Они пишут, выводя за скобки факты общеизвестные, точнее, упоминая об этих фактах именно как о фактах очевидных и общеизвестных. Россия еще ни разу не была демократической страной, и этот факт приходится признать, несмотря на довольно большое количество европейски ориентированных жителей больших городов. В России сложилась ситуация, непохожая на большинство известных социальных ситуаций в мире. Но осознать ее можно только обратившись к человеку, к его повседневной жизни. Повседневность не различает политических деклараций, во всяком случае, в относительно мирное время. Да и к тому же, любая война и любой мир происходят в сердце человека, занятого своими ежедневными заботами, идущего по асфальту и брусчатке, бросающего взгляды на капители и портики, на прямоугольники многоэтажек и убогие киоски, на деревья в цвету и бездомных собак. В конце концов, повседневное сознание это, во многом, сознание ребенка, играющего во дворе своего дома, каким бы этот дом ни был, и прозревающего в дощечках - парусники, в сточной канаве - Нил, в асфальте мрамор и в пластиковой бутылке — римского императора. И, надо сказать, это прозрение абсолютно верно. Самое важное качество повседневного сознания - его неразъятость, неаналитичность. Именно с точки зрения такого сознания и пытаются смотреть на Город авторы, переживая «город как опыт» и описывая ландшафт, как ландшафт сознания. Это, однако, не исключает ни критичности, ни иронии, причем не только в адрес московской жизни, но и по поводу европейской жизни и европейских взглядов. Так, например, я с удивлением узнала, что из скверов и парков некоторых европейских городов исчезли все скамейки, поскольку городские власти решили таким образом избавиться от присутствия бездомных граждан, обычно там спящих.
Готовя перевод статьи, который я надеюсь вскоре опубликовать, я почувствовала, насколько язык звучит голосами собственной культуры. Невозможно не вспомнить описание Парижа с высоты птичьего полета Виктора Гюго. Его опыт переживания архитектуры города мгновенно оживает во французском языке, когда речь заходит пусть и о другом городе, и о другой архитектуре. И это проникновение метафор открывает в образах Москвы новые и очень глубокие смыслы.
tre Europen Moscou
Quand on est europen, citoyen du monde, europen, intellectuel, dmocrate et progressiste et qu’on vit Moscou, le dfi de l’criture vous dmange de plusieurs manires. La premire, la plus vidente, est d’crire arrim la charte des Droits de l’Homme. Autrement dit, militer, encore et toujours, pour un renouveau dmocratique de la Russie actuelle. Toutefois, sous une forme ou une autre cela dj t fait et continue d’tre fait.
Alors une question merge. Peut-on voquer la vie quotidienne en Russie sans « dnoncer », sans invitablement, obligatoirement, voquer l’autoritarisme du rgime actuel, le nationalisme, l’arbitraire, l’alcoolisme, ou encore le racisme ? Peut-on porter un regard plutt thologique sur la ville et ses habitants, plus entreml au quotidien, plus proche de la perception que les Moscovites ont de leur ville ? Un regard plus proche « de la ville comme exprience » ? Et ce afin d’offrir un outil pour complter et ventuellement « d-stigmatiser » l’opinion de ceux – toujours nombreux comme l’affirment en riant les Russes – qui croient encore que les ours de Sibrie se promnent Moscou, ou, plus srieusement, qui peroivent cette ville comme un lieu violent, dangereux, o vivre en famille pour des trangers relve au mieux d’un exploit, au pire de l’inconscience. Or c’est ce quotidien, travers d’impressions multiples et tonnantes, droutantes souvent, que l’on a parfois envie de partager lorsque l’on sjourne Moscou.
Non loin de la grande Avenue Lnine, les ruesde la Jeunesse, des Constructeurs, ou encore Kroupskaa – la femme de Lnine – et tant d’autres encore dont les noms ramnent constamment une poque aujourd’hui rvolue, sont quelques-unes des belles rues du Sud-Ouest de Moscou. Elles sont situes au cur d’un quartier rsidentiel, l o niche la grandiose Universit d’tat Lomonossov, ce symbole de l’architecture stalinienne peru par certains comme une mmoire du Pouvoir et un monument du Savoir impos la ville depuis ses hauteurs. ct de cette vision, certes relle, d’autant plus que l’architecture stalinienne, monumentale, est prsente o que l’il se tourne, c’est aussi une cartographie paysagiste tonnante laquelle nous avons affaire, et qui fait le bonheur des Moscovites. Cette cartographie est faite de reliefs multiples, de soins quotidiens apports aux chemins et trottoirs obligatoirement orns de longues et fines dalles noires et blanches, ainsi qu’aux innombrables jardins, parcs, squares et cours, bords de barrires jaunes et vertes inlassablement repeintes par les « brigades de quartier ». Des parcs entretenus avec minutie et gays de multiples fleurs et arbustes au rythme des saisons, o rouges-gorges et bergeronnettes font leurs nids Des squares et des cours dans lesquels de magnifiques bancs, tonnamment nombreux, en vieille fonte et en bois color de couleurs barioles, des bancs qui, dans les villes de Paris et de Genve notamment, manquent tant depuis qu’il a t dcid de cacher les pauvres et les drogus la vue des passants, invitent les habitants au repos et au vagabondage de l’esprit. Or toute cette dynamique socio-urbanistique se retrouve, semblable, dans le quartier voisin, et finalement, dans une grande partie de la ville. Moscou, connue pour son dbordant et infernal parc automobile, est, pour invraisemblable que cela paraisse, une ville verte, emplie d’arbres, o ct des parcs entretenus avec la plus grande minutie, la nature sauvage a encore toute sa place et son sens, sans pour autant que la patte du paysagiste franais Gilles Clment, qui dans ses crations aime parfois laisser le champ libre la nature, y soit pour quelque chose. Une ville dont n’oseraient mme pas rver certains cologistes europens qui se battent contre la drle d’habitude qu’ont les dcideurs politiques et urbanistes de nos contres de btonner tout morceau de terre inoccup. Et les habitants de Moscou, t comme hiver, tt le matin ou tard le soir, personnes ges et jeunes enfants, avec ou sans chiens avec ou sans laisse, sans que cela ne semble procurer les mmes problmes que dans nos villes polices, s’y promnent et s’y plaisent. Un peu plus loin, sur le trottoir, un vieux camion, relique des « temps d’autrefois », stationne, transform en picerie nomade, porte entrouverte qui laisse apparatre pommes, patates, oignons et autres lgumes. De l’autre ct du parc, une vieille femme, vtue de plusieurs couches de tissus, foulard bien nou sur la tte, tripote sur une table de fortune fromages, saucisses, bouts de lard et crme fraiche, au gr de l’avancement des clients qui font la queue en papotant gaillardement.
Ce tableau, un peu passiste, enrob de lenteur et de traditions, d’odeurs et de nostalgie, de plus en plus perceptible mesure que l’on s’loigne du centre de la mgapole, est doubl par des lignes « dterritorialises », des lignes de clrit bien plus contemporaines : femmes et hommes, tailleurs, costumes, cravates, chemises de confection europenne, obligatoirement ; talons aiguilles, sacs main haute confection. D’innombrables 4x4, Mercedes, Renaud, Peugeot, Volvo ou encore Nissan derniers modles, sillonnent toute vitesse avenues et rues de Moscou, inscrits dans une tout autre galaxie quotidienne. Une nouvelle classe sociale se fraye son chemin : la bourgeoisie moscovite mergente, dont le pouvoir d’achat ne semble pas avoir t trop malmen par la crise conomique, occupe le terrain et exige sans complexe de pouvoir accder des produits de qualit.
Enchevtrement – sans repos depuis la perestroka – de mondes, de genres et de patrimoines, ne laissant encore ni place ni temps pour pouvoir entamer une quelconque critique au consumrisme ambiant fortement encourag par une publicit « hi Tech » omniprsente : Moscou constitue un espace gopolitique urbain o l’on est pass une vitesse folle « de la lutte des classes la lutte des places » (Michel Lussault), vaste conurbation o les grandes entreprises europennes tentent de conqurir d’une manire durable le march de plus de onze millions d’mes, au « dtriment », pourrait-on dire, d’une industrie russe mal au point dans de nombreux domaines. Fournisseuse de matires premires, la Russie importe encore en grande partie ses produits industriels.
La ralit de Moscou est riche en contrastes, en revers et en lignes droites. Compliqu pour un esprit europen, donc rationnel et cartsien, de construire une analyse pertinente, qui tienne en mme temps compte d’un patrimoine et d’une culture si enracins et d’un prsent si dvor par les clrits rapides des mutations capitalistes. La contemporanit des processus en cours en Russie constitue ce genre d’objet htrogntique qu’il vaut la peine d’observer en prenant son temps, en plongeant dans ce vaste ocan aux multiples rouages superposs. La Russie, hier comme aujourd’hui, absorbe et digre avec une facult et une intelligence tonnantes le meilleur comme le pire de l’Occident. Elle tente tant bien que mal et comme plusieurs fois dj durant son histoire, avec des rgimes temporels qui parfois nous chappent lorsque l’on oublie qu’elle n’a jamais t une dmocratie « l’europenne », laquelle ne se construit de toute faon pas en vingt ans, de trouver sa place ct d’une Europe qui ne lui fait gure confiance au niveau politique sans que cela ne l’empche d’ailleurs d’tre trs dynamique et fort intresse par la Russie au niveau commercial.